Nous avons quitté Trapani Dimanche 18 novembre à 10h30.

A 5 noeuds nous devons atteindre Hammamet le lendemain en milieu de journée.

Météo du Captain : Une journée calme avec un peu de vent et pas de mer ou presque. Un bon vent qui se lève dans la nuit 15 20 noeuds, vague 2m maxi. Il nous prévoit une route permettant de profiter du vent au maximum, nous serons vraiment face au vent et aux vagues le matin en arrivant sur Hammamet.

La journée de navigation se passe comme prévu. Le calme de la mer me permet même une petite sieste au soleil sur le filet à l'avant mon endroit préféré. Nous passons devant les iles Egades, Apercevons Panteleria avant le coucher du soleil. 3 bonites (petites), les enfants sont contents...C'est l'hiver, le soleil se couche à 17h...les soirées sont courtes en mer en hiver...La lune se lève très vite, sa lumière me rassure....et puis à l'approche de Panteleria...La lune se voile, il fait complètement noir. Plus on approche de l'ile, plus les bateaux apparaissent sur le radar, le système AIS nous permet de connaitre leur emplacement, leur vitesse, leur cap...mais il y a aussi les bateaux de pêche qui n'ont pas tous un AIS (les concurrents du Vendée Globe en savent quelquechose...).

Nous avons mangé tôt un bon plat de spaghettis au beurre...quand tout était encore "calme."..aux alentours de 20H Hervé et moi sommes sur le pont, on guette les mouvements des bateaux, aller retour entre l'extérieur et l'intérieur sur l'écran pour voir les AIS. Il y a tellement de bateaux que le choix de la route ressememble un peu à une bataille navale. Nous passerons à moins de 200m du cul d'un cargo de 350m (transportant des matières dangereuses..tout va bien)...Il avançait à 20 noeuds et devant lui un autre cargo, à côté de lui un remorqueur...ça fait des lumières compliquées à comprendre sur l'eau quand la nuit est toute noire...

Je ne vous cache pas que je n'étais pas fière sur mon tout petit bateau dans cette grande mer ... et à côté de ces immenses pontons flottants qui ont l'air de fantômes sur l'eau tant ils suivent leur route, imperturbables, quoi qu'il y ait sur leur route...

Bon les cargos ça c'est fait.

Les enfants se couchent...et le vent monte 15, 18, 20, 22....jusqu'à 35 noeuds et la mer s'agite ... On le sent à la manière de bouger dans le bateau, plus le vent et les vagues montent, plus on doit se tenir pour se déplacer...3 à 4m de vague au pire...tout ce qui est au dessus de 2m ça commence à faire quand même...surtout que les vagues sont courtes et irrégulières...je déplace les choses qui tombent dans ces conditions, la cafetière, l'égouttoir vaisselle...toutes ces choses qui restent à poste la plupart du temps mais que je sais prêtes à tomber quand le bateau se met à "faire la sauterelle"...

Je ne sais plus trop ce que je dois faire ... je me partage entre aller dehors voir si tout va bien pour Hervé qui veille à la barre (a t il besoin de moi? Comment se passe la route? et s'il glissait? et si une vague le faisait tomber?), les garçons dans la coque babord qui dorment mais...(et s'ils veulent vomir est ce qu'ils vont bien aller aux toilettes et surtout pas dehors, avec la météo dehors le vent et les vagues font tant de bruit, Hervé ne les verrait pas forcément sortir...) et Lou dans la coque tribord (et si elle tombait de sa couchette...avec l'intensité des mouvements du bateau elle pourrait vraiment se faire mal...elle a bien un filet pour fermer sa couchette mais si je le ferme je m'inquiète de la difficulté que j'aurais à la sortir vite de la couchette pour lui mettre un gilet s'il faut...)...dans ma tête c'est une longue check liste des risques que nous avons et de ce qu'il faut faire s'il y a un problème...A 2h j'entends deux SMS arriver sur le portable d'Hervé...je regarde en passant ce que ça peut bien être : "Allo la mer ici la terre FR 39 ARG 22 2 essais de Clerc 1 de Nyanga et le reste de Michalak super match Mamie RUgdby" quel décalage entre ce que nous vivons et ce SMS...nous passons sur "le banc de l'aventure" immense et je vois sur la carte d'autres bancs de sable...je pense à ce catamaran qui s'est retourné il y a quelques jours sur les côte Marocaines...Je pense aux fermes marines fréquentes sur ces côtes dont Céline et Stéphane de Manutéa nous avaient parlé, et si on s'en prend une que faire, arrêtés dans ce champs de bosses avec ce vent qui souffle et cette nuit si noire...ils nous avaient dit, ne surtout pas approcher d'Hammamet la nuit...cela va durer toute la nuit, de 22h et quelques à 5h du matin...A 2h30, les rafales à 35 noeuds sont fréquentes, notre route de plus en plus face aux vagues, un pré si serré que bleu de mer n'avance presque plus..3,5 noeuds au mieux...nous décidons de rejoindre le port le plus accessible et proche, Kelibia...dans les coques j'entends les vagues s'écraser sous le bateau, les héllices tournent plus souvent hors de l'eau que dans l'eau à cause des vagues qui nous soulèvent...tout le bateau vibre, les parois des cabines grincent, quand on monte sur une vague on vient s'écraser juste derrière et là, il vaut mieux se cramponner pour ne pas tomber...quand je vais dehors, l'eau est noire, les reliefs qu'on voit font penser au champs de bosse de la piste noire de La Clusaz, des bosses irrégulières, pentues, désordonnées dans les deux sens...les vagues déferlent, on ne les voit que quand la lumière du bateau se reflète dans le haut des vagues, on dirait alors que les vagues attaquent le bateau, on les voit si soudainement...Quand je suis avec Lou, je la vois sauter quand le bateau s'écrase derrière une vague, et elle dort, change de position par moment, mais sans se réveiller, incroyable...

Nous approchons du port de Kelibia, peu d'infos sur ce port, va t on pouvoir se mettre à l'abri? va t on pouvoir entrer? Et ce jour qui ne veut pas se lever...et cette lune toujours voilée...et cette côte qui se rapproche avec ses dangers...

Nous voulons attendre que le jour se lève...mais nous avons tant envie que ça s'arrête...j'appelle le canal 16 à la VHF, sans y croire, il est 5h, peu de chance qu'on me réponde..."Catamaran bleu de mer pour le port de Kelibia vous me recevez"...deux ou trois appels et là..."je vous reçois, quelle est la taille du bateau? " 12m par 7,25 par 1,2m de tirant d'eau nous voulons nous abriter dans votre port est ce possible" ..... un temps interminable et..."bienvenue bleu de mer, avancez à gauche"...entendre bienvenue en Français...quel bonheur, si j'avais eu ce monsieur en face de moi je crois que je l'aurais embrassé...malgré le vent on entend l'appel à la prière, il est 5h25...bienvenue en Tunisie...Moment incroyable...

Nous entrons dans le port, il n'y a presque que des bateaux de pêche, à gauche pas de place visible...à droite un quai et des bites d'amarrage...on ne réfléchit pas longtemps...je saute sur le quai, on s'amarre...quel soulagement...les garçons se lèvent quand on éteint le moteur..."on est ou? c'est pas Hammamet là?????"... C'est si incroyable qu'il n'aient rien perçu de ce qu'on vient de vivre...On hisse le drapeau Tunisien pour être au moins en règle "de l'extérieur" , j'immortalise nos têtes défaites mais heureuses....

Hervé me dira en allant se coucher...je la sentais pas cette dernière nav...je luis dis que j'avais le même présentiment...on ne se l'était pas dit...on n'est pas supersticieux à bord de bleu de mer mais bon...

Nous sommes au lit à 6h13...A 7h13, on frappe à la coque...on sort, hirsutes, et nous voilà face à trois Tunisiens en uniforme...nous nous sommes amarrés sur une quai...militaire...c'est vrai que quand même le quai ne ressemblait pas tant que ça à une caserne...et l'enseigne était ...de l'autre côté du portail...on ne l'avait pas vu..

On bouge bleu de mer a la main le long du quai avec l'aide des 3 militaires, impossible de rester là...Lou se lève tout sourire "je suis prète moi pour la savane"...depuis qu'elle nous a entendu parler d'Afrique, elle est persuadée qu'on va voir des lions et des girafes...Le jour se lève, avec ces trois enfants debout qui ont, eux, bien dormi...impossible de se recoucher sans leur donner un p'tit dej...mon estomac a faim mais pas facile de manger, je suis encore toute nouée à l'intérieur...7h45, on frappe encore à la coque...bonjour madame, dans 10 minutes visite de la douane...Et c'est un défilé de pleins d'autochtone curieux de voir un bateau de touriste dans ce port de pêche en hiver...on nous parle, on nous demande si on veut de l'aide, deux garçons veulent se prendre en photo avec le capitaine....surréaliste...

Ils arrivent à 3, on range le p'tit dej, on s'assoit dans le carré pour faire les papiers...ils "visitent" le bateau...bon voilà...on peut bientôt aller se coucher...Hervé s'allonge, Hugo est dehors il pêche...au bout d'un moment je ne le vois plus...je sors, je l'appelle, pas de Hugo...sur les quais partout des pêcheurs me regardent comme une extra terrestre en train d'hurler Hugo...on me dit il est passé par là, il est parti en voiture avec des monsieurs, il est sur la digue...je suis paniquée...je reviens au bateau chercher Hervé, Lou et Tom étaient tous seuls dans le carré...Hervé part à sa recherche...25 bonnes minutes passent...interminables...je guette ce que je peux aux jumelles...rien...et puis les voilà...Hugo était de l'autre côté du port en train de tenter de récupérer sa canne tombée à l'eau avec 5 Tunisiens super gentils....ouf...je n'en peux plus de toutes ces émotions....

Journée bizarre, dans du coton, comme quand on est sorti toute la nuit en boite...et notre premier coucher de soleil Tunisien, juste après un vol de flamands roses...Bienvenue en Tunisie..